Le visiteur qui franchit le Rhône, en venant de Châteauneuf, aperçoit d'abord la fière silhouette de la cathédrale qui domine la ville. En approchant, il découvre le majestueux édifice de l'ancien palais épiscopal, actuelle mairie, à sa gauche et l'hôtel de Roqueplane, actuel évêché, à sa droite. Ce n'est qu'ensuite qu'il découvre l'église Notre-Dame du Rhône, un peu en retrait, sous les remparts.
La toute première Notre-Dame du Rhône est très ancienne; construite sous l'évêque Venance au VIe siècle, on la désigna quelque temps sous le vocable St Saturnin et Notre-Dame. Une redécouverte fortuite à l'occasion de travaux en 1986 permit d'y faire des fouilles sur la moitié de sa surface et d'y découvrir de nombreuses tombes et, sans doute, celle du fondateur St Venance. Ses ruines malheureusement recouvertes ensuite, se trouvent, moitié sous le parking de la mairie et moitié sous la route conduisant à Châteauneuf. Vers la fin du VIIe siècle un monastère de bénédictines fut construit près de cette église. Une légende raconte qu'en 737, lors du passage des invasions sarrasines et la destruction de leur monastère, les religieuses s'enfuirent en emportant les reliques de St Venance qu'elles conduisirent à Soyons où elles se réfugièrent. Il est plus probable que les ruines de l'église continuèrent d'abriter la tombe de cet évêque. Une nouvelle église fut construite ensuite en la déplaçant au nord-est mais elle fut ravagée durant les Guerres de Religion. Elle est citée au XIVe siècle dans les registres de notaires.
L'aumône de la Confrérie y avait lieu le jour de la Pentecôte. Le chanoine de Banne en avait examiné les ruines. Il disait qu'elle avait été bâtie, selon lui, « ...sur les ruines de quelque halle ou marché public...». Il avait remarqué quantité de grandes fenêtres dans une vieille muraille et il connaissait l'existence autrefois, en ce lieu, du monastère des Bénédictines.
En 1624, nous rapporte notre chroniqueur Jacques de Banne, «...certaines dames du diocèse, mues de piété et de dévotion désiraient fonder un monastère de religieuses de l'ordre de St Dominique sous la direction des Pères Jacobins du Puy et ne trouvant autre lieu plus propre qu'en la présente ville, prièrent Messieurs du Chapitre leur vouloir octroyer le lieu et enclos de Notre-Dame du Rhône hors des murs du château... ». Elles disaient que le monastère apporterait toutes sortes de commodités au public puisqu'il vivrait de ses rentes et n'aurait pas besoin de mendier. Il y eut des délibérations au sein du chapitre et entre les consuls et l'autorisation fut donnée. Le 13 novembre 1624, le chapitre cédait le lieu, enclos et église Notre-Dame du Rhône ainsi que les terres dépendantes de la cure de l'église afin d'édifier ledit monastère. En janvier 1625, les cinq premières religieuses, sous la conduite de la mère Jeanne Croupet, arrivèrent à Viviers. Les notables et le peuple de Viviers «...allèrent à leur rencontre avec des flambeaux à cause de l'obscurité de la nuit». Les religieuses furent logées dans la maison de Françoise de la Baume d'Uzer durant les travaux. On réédifia l'église partiellement détruite par les huguenots en 1567. Une découverte extraordinaire permit aux maçons de faire des économies de matériaux. Ce fut celle de plus de cent cercueils dont ils utilisèrent la pierre pour bâtir le nouveau couvent. Une inscription gravée sur la pièce de marbre blanc de l'un des cercueils, indiquait que le personnage enterré, avait quitté l'hérésie qui ne reconnaissait pas la Ste Trinité et était revenu à la croyance de ce dogme. La reconstruction débuta du côté du levant, il fallut abattre le chœur qui était voûté en cul de four.
Ce fut l'évêque Louis de la Baume de Suze qui posa la première pierre en octobre 1625. Mais l'église se trouvait partiellement enterrée, il fallait descendre une vingtaine de marches pour y entrer, ce qui en faisait un bâtiment humide. En 1636, les religieuses firent construire un mur de clôture afin de mieux s'isoler. Mais ce devait être insuffisant puisqu'en 1652, disent les registres «...en présence de vols nombreux, commis la nuit par escalade ou effraction, à main armée et la figure masquée, notamment au monastère de N.D. du Rhône, le conseil décide de rétablir la garde bourgeoise». Le journal des religieuses que Dominique-Antoine Flaugergues avait pu consulter rapporte que la communauté vivait selon un état d'extrême pauvreté, se nourrissant très chichement par esprit de sacrifice. Seule la cheminée de la cuisine leur permettait de se chauffer. Pourtant l'établissement avait des biens ; dans les archives il est fait état des donations reçues lors de l'arrivée de nouvelles sœurs et les "délibérations municipales nous apprennent que le monastère était propriétaire de la moitié du port (alors situé à la Baume de Bouvéry au sud de Viviers). En 1663: « ...les dames du monastère appréhendant que le marquis de Chateauneuf n'entreprenne de retirer de vive force sa femme qui s'est réfugiée chez elles, réclament une garde de nuit que le conseil leur accorde ».
Il ne faut pas se fier aux apparences
Flaugergues nous rapporte une anecdote lue dans le manuscrit du monastère. Un homme logeait dans une petite maison au bord du Rhône et les religieuses qui l'apercevaient depuis leur jardin l'avaient en haute estime car il ne se déplaçait qu'avec un grand chapelet à la main, ce qui pour elles ne pouvait être qu'un signe de sainteté.
Aussi leur achetaient-elles avec dévotion les œufs et les légumes qu'il leur vendait... après être allé les voler dans les environs ! Les sœurs disaient même qu'elles dormaient en paix dans le voisinage d'un homme si manifestement pieux.
Mais les vols et assassinats commis la nuit par cet homme furent découverts, on l'arrêta et, avant d'être rompu vif, il avoua qu'il avait conçu le projet de s'introduire dans les bâtiments et d'égorger toutes les religieuses.
En 1732, le nouvel évêque, Mgr de Villeneuve posa la première pierre du palais épiscopal que Jean- Baptiste Franque, architecte renommé allait lui construire.
L'année d'après, il engagea les religieuses à profiter de la présence des maçons pour reconstruire leur église qui bénéficia des plans de Claude Projet. En creusant pour faire les fondations, on trouva des médailles à l'effigie des empereurs Néron et César, ainsi que des tombeaux en pierres et en briques. Flaugergues regretta que personne n'ait pu lire les inscriptions qui y étaient gravées. En 1732, les religieuses firent cession d'un colombier et d'une chènevière afin d'agrandir le futur jardin épiscopal.
Je n'ai pu trouver de précisions sur la date de départ des religieuses de leur couvent ; seulement la notification de leur dispersion à la Révolution.
« ...Sommes d'avis que les bâtiments dudit couvent des ci-devant religieuses de St Dominique, composés au rez-de-chaussée d'une église, sacristie, vestibule, chœur, chapelle, parloir, cave, réfectoire, cuisine, décharge, engard (sic), écurie, plusieurs chambres, greniers et galetas sont en très mauvais état, les portes et les fenêtres intérieures ont été enlevées et brisées....les dits bâtiments sont dans un état de délabrement qui fait craindre une chute prochaine.
Les bâtiments ainsi que les terrains attenants, jardin, vigne, verger et petit lopin de terre furent estimés à 4756 livres en capital en 238 livres en revenu. Dans les ventes de biens nationaux les divers bâtiments sont qualifiés de : « masures et bâtiments ruraux» Des particuliers achetèrent les divers domaines, terres et granges comme l'Olivet, Jargières, la Condamine, possessions du monastère. L'église ayant été saisi comme bien national devint un magasin à fourrage et plus tard abrita l'entrepôt de carrelages de l'entreprise Larmande. Elle est actuellement désaffectée mais reste un lieu d'observations pour les étudiants.
Durant la Révolution les bâtiments du couvent servirent de ferme de l'hôpital puis de prison. Une partie fut ensuite rénovée et convertie en 1908, en locaux pour l'école catholique qui l'occupe toujours. Un des bâtiments à l'arrière de l'église, servit quelques temps de théâtre paroissial et conserve des peintures sur ses murs.
L'architecte Jean-Baptiste Franque a imprimé le même style dans les trois bâtiments construits à la même époque : le palais épiscopal, l'hôtel de Roqueplane et Notre-Dame du Rhône. Le fronton triangulaire de l'église se retrouve dans les autres façades. Des pilastres ioniques encadrent le portail. Les belles pierres de taille proviennent des carrières de St-Restitut. L'aspect est sobre, sans ornementation religieuse. La nef unique est voûtée en arc de cloître, des arcades délimitant des niches qui abritaient des petites chapelles. Une ouverture aujourd'hui murée donnait accès au chœur des religieuses, où elles pouvaient entendre la messe sans se montrer.
En 2006 et 2007 ce lieu a fait l'objet, avec d'autres, de stages pour les architectes de l'Ecole de Chaillot, de Paris, qui se sont spécialisés dans l'architecture du Patrimoine et ont pu trouver dans les monuments de Viviers un vaste champ d'études.
Texte paru dans La Tribune - Edition A26 - Numéro 24 - Jeudi 12 juin 2008 - écrit par Yvonne Leclère - tous droits réservés